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« L’Amérique de Joe Biden s’apprête à défendre son rang de première puissance économique mondiale »

Nicolas Goetzmann

Responsable de la recherche et de la stratégie macroéconomique à la Financière de la Cité.


L’économiste Nicolas Goetzmann estime, dans une tribune au « Monde », qu’en soutenant massivement la croissance, le nouveau locataire de la Maison Blanche poursuit la plus importante réorientation de la stratégie économique américaine depuis quarante ans, afin de contrer les ambitions de la Chine.


Tribune. « Le moment est venu de voir grand ». Le 12 février, à l’occasion d’un échange avec ses partenaires du G7, la secrétaire au Trésor des Etats-Unis Janet Yellen plaidait en faveur d’une relance économique d’ampleur coordonnée, tout en soulignant la nécessité d’un retour au multilatéralisme. Elle déclarait aussi : « Nous accordons une haute priorité à l’approfondissement de notre engagement international et au renforcement de nos alliances. »


Depuis plusieurs mois, Washington démontre en effet son intention de soutenir massivement sa croissance au cours des prochaines années. Une décision qui s’observe aussi bien par le changement de stratégie de politique monétaire dévoilée le 27 août 2020, que par la volonté politique affirmée de soutenir l’économie du pays par la voie budgétaire pour des montants records.


Croissance maximale


Après le Cares Act de 2 200 milliards de dollars [environ 1815 milliards d’euros] de mars 2020, son complément de 900 milliards voté à la fin décembre, la nouvelle administration américaine s’apprête à négocier un programme d’un montant de 1 900 milliards de dollars, et ce, dans l’attente d’un soutien supplémentaire apporté au développement des infrastructures américaines. De façon manifeste, les Etats-Unis veulent en finir avec un niveau de croissance aujourd’hui considéré comme sous optimal.


Ainsi, après plusieurs décennies de déceptions, de progression des inégalités, de stagnation des salaires, de chômage trop élevé, les Etats-Unis modifient leur orientation économique dans un objectif de croissance maximale. Mais cette stratégie de sortie de crise révèle également une préoccupation géopolitique.


En effet, alors que le Global Times – rattaché au Parti communiste chinois – annonçait le 29 janvier que le produit intérieur brut (PIB) chinois sera en mesure de dépasser celui des Etats-Unis avant l’année 2030 – faisant du pays la première puissance économique mondiale –, Joe Biden déclarait, dans un discours prononcé le 4 février qu’« aucun pays sur cette planète – pas plus la Chine qu’un autre pays – ne pourra nous égaler » si les maux qui rongent le pays venaient à être corrigés.


Cette juxtaposition des intérêts intérieurs et extérieurs n’est pas voilée par Joe Biden, qui poursuit : « Il n’y aura plus de frontière entre la politique étrangère et la politique intérieure. Chaque action que nous entreprenons dans notre conduite à l’étranger, nous devons la réaliser en pensant aux familles de travailleurs américains. La promotion d’une politique étrangère en faveur de la classe moyenne exige une concentration urgente sur notre économie intérieure, notre renouveau économique. »


Xi Jinping face à des barrières


De la même façon que les Etats-Unis avaient mis en œuvre une stratégie d’endiguement face à l’URSS, notamment en soutenant leur marché intérieur – conformément aux mots écrits par [le diplomate et historien américain] George Kennan (1904-2005) dans son long télégramme de 1946 : « beaucoup dépendra de la santé et de la vigueur de notre propre société » –, l’Amérique de Joe Biden s’apprête à défendre son rang de première puissance économique mondiale à l’horizon de la fin de cette décennie.


Déjà, les compteurs s’affolent. De l’envolée des Bourses mondiales aux incessantes révisions à la hausse des anticipations de croissance des Etats-Unis, la poursuite de la plus importante réorientation de la stratégie économique américaine depuis quarante ans produit ses effets, dont le premier a été de contenir la récession économique de l’année 2020 à une baisse de 3,5 % du PIB.


Du côté de Pékin, comme l’indique l’ancien premier ministre australien Kevin Rudd, « le Parti communiste chinois [PCC] est de plus en plus convaincu que l’économie chinoise dépassera celle des Etats-Unis pour lui ravir la première place mondiale d’ici la fin de la décennie. Les élites occidentales ignorent peut-être l’importance de cette étape. Le bureau politique du PCC non. »


Pourtant, certaines barrières se dressent devant le projet de Xi Jinping. Entre une démographie chancelante qui devrait aboutir à une régression de la population active au cours de ces prochaines années, et le danger de voir la guerre commerciale muter en une guerre technologique qui pourrait entamer la productivité du pays, le rythme de la croissance chinoise se trouve aujourd’hui menacé.


L’Europe comme une priorité


C’est dans ce contexte de compétition économique mondiale que Janet Yellen et Joe Biden ont entamé leurs relations avec les dirigeants du G7 avec une double priorité : d’un côté, la relance et, de l’autre, le renforcement des alliances. L’Europe apparaît ici comme une priorité. Encore convaincue de la validité de son modèle économique de stabilité orienté vers l’exportation, la zone euro ne parvient pas à remettre en cause une stratégie qui l’a conduite à une croissance totale de 3,3 % entre 2008 et 2020, contre 19,8 % pour les Etats-Unis sur la même période.


Préoccupée par la volonté de se différencier des Etats-Unis, l’Europe ne voit pas la convergence de ses intérêts avec Washington. Pourtant, et de la même façon que le soutien à la croissance américaine coïncide avec les intérêts géopolitiques du pays, l’Europe aurait tout à gagner d’une stratégie de croissance maximale.


En soutenant massivement son marché intérieur par le biais d’une révision de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, et par la renégociation du pacte de stabilité et de croissance, l’Europe retrouverait une capacité de croissance plus conforme à son potentiel. Une stratégie de soutien au marché intérieur qui aurait mécaniquement pour effet de voir l’Union européenne à vingt-sept (UE27) rééquilibrer sa balance commerciale avec les Etats-Unis tout en permettant la réduction de sa dépendance à ses exportations en direction de la Chine.

Si l’émergence de l’économie chinoise avait été initialement perçue comme un relais de croissance des économies occidentales, l’année 2021 sera l’occasion pour le PIB chinois de dépasser celui de l’UE27. Lancés dans une nouvelle ère économique, tournant la page de plusieurs décennies de croissance sous-optimale, les Etats-Unis vont tenter d’éviter un même résultat. Ils n’ont pas encore perdu.


https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/22/l-amerique-de-joe-biden-s-apprete-a-defendre-son-rang-de-premiere-puissance-economique-mondiale_6070825_3232.html

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